Pourquoi se justifier d’être ce que l’on aime ?

Aujourd’hui, je me rends compte que je passe beaucoup trop de temps à me justifier, pour tout et n’importe quoi : les livres que je lis, la musique que j’écoute, les activités que je choisi, les sorties que je refuse, le métier que j’exerce, la nourriture que je mange ou non.

Ces derniers mois, je n’ai pas trouvé le temps et la motivation d’écrire des articles pour le blog et d’alimenter la page Facebook. J’ai alors posté quelques messages de temps à autre pour m’expliquer et dire que j’allais bientôt revenir. Mais, en réalité, rien ne m’est imposé puisque j’ai moi-même choisi d’ouvrir ce blog.

Vous vous posez la même question que moi ? Voici une partie de la réponse : parce que des gens nous reprochent des choses qui ne les regardent pas.


En effet, ce qui me fait réagir, c’est que récemment, j’ai pris connaissance d’un article qui a fait polémique Outre-Atlantique. Il s’agit d’un article publié sur Slate.fr et rédigé par une certaine Ruth Graham : “Against YA: Read whatever you want. But you should feel embarrassed when what you’re reading was written for children.” (pour les non-anglophones : Contre la YA. Lisez ce que vous voulez. Mais vous devriez vous sentir embarrassé quand ce que vous lisez est écrit pour les enfants). Vous remarquerez la logique implacable de ce titre : fais ce que tu veux, mais pas trop quand même !

Elle commence donc son article en évoquant le succès de “The Fault in our Stars”, le film adapté du roman de John Green. D’après elle, on ne devrait pas être embarrassé parce qu’il est mauvais, mais parce que le livre a été écrit pour les enfants. Je me permets déjà de faire remarquer une petite erreur de sa part : les livres qu’on appelle “YA books” (en français : les livres pour jeunes adultes) ne sont, par définition, pas des livres pour enfants.

D’ailleurs, et si on commençait par essayer de définir ce qu’est un livre YA ?

  • un livre lu par des adolescents ? Selon “Publisher’s Weekly” (source publiée par l’auteur de l’article, elle-même), 55% des livres estampillés “YA” (qu’on prononce alors “way-è”) sont achetés par des adultes de plus de 18 ans. Ce n’est donc pas la bonne définition.
  • un livre écrit par un adolescent ? Euh… John Green n’est pas un adolescent ? Ce n’est donc pas la bonne définition.
  • un livre dont le héros est un adolescent ? Alors pourquoi trouve-t-on Oliver Twist dans la section “Romans et littérature” et non dans la section “Jeunesse” ? Ce n’est donc pas la bonne définition.

Personnellement, je considère la YA comme un genre sans frontières : il n’y a pas de réel limite d’âge, il n’y a pas vraiment de personnage type, il n’y a pas un style en particulier (on peut avoir de la YA/science-fiction, YA/fantasy, YA/historique). Mais dans tous les cas, il y a un parcours, des épreuves, une sorte de challenge à travers lequel le personnage principal va se révéler et se découvrir. Ce genre, encore un peu vague, permet finalement de privilégier l’imagination à l’esthétisme de la langue. Et, soyons honnête, des livres mal écrits, il y en a partout, même dans la littérature pour adultes.


J’ai passé des années à me concentrer sur des livres étudiés à l’école, parce que c’était les seuls livres “dignes” d’être lus. Pendant des années, j’ai refusé d’ouvrir certains livres pour cette raison. Je voulais faire des études littéraires et pour cela il fallait lire les classiques Balzac, Voltaire, Shakespeare, Maupassant, et j’en passe ! Je me suis même cachée d’avoir lu des romans de Marc Lévy et Guillaume Musso. D’ailleurs, je me souviens de ce camarade en cours de littérature en prépa littéraire qui disait : “je ne comprends pas ceux qui lisent ces merdes de Musso et de Lévy !” S’en est suivi un plaidoyer contre ces auteurs et contre les gens qui pouvaient bien lire ces romans bas de gamme. Mais quels bandes de cons, voyons ! Regardons-nous, nous valons tellement mieux que cette basse population !

A la fin de ces deux années intenses à découvrir de nombreux auteurs merveilleux comme Edgar Allan Poe, à découvrir la beauté de la poésie grâce à William Carlos Williams et Victor Hugo, j’ai eu envie d’autres choses, quelque choses de simple : redécouvrir le plaisir de lire pour moi, pour me divertir, pour rêver, ce que j’ai souvent oublié de faire à l’adolescence.

Mais là encore, Ruth Graham trouve quelque chose à dire concernant le plaisir de s’échapper, de ressentir un plaisir immédiat, de ressentir une certaine nostalgie (“the enjoyment of reading this stuff has to do with escapism, instant gratification, and nostalgia”)

Et surtout, elle reproche aux romans YA de proposer des fins toujours satisfaisantes (“YA endings are uniformly satisfying, whether that satisfaction comes through weeping or cheering.”). Tout d’abord, je ne veux pas lire pour me faire du mal et m’arracher les cheveux. J’ai envie de lire pour me faire plaisir, pour ressentir des émotions et fermer le livre en disant “Wow! Merci beaucoup pour ce moment”. Enfin, et comme le mentionne Tommy Wallach dans un article en réponse à Ruth Graham, il existe des livres pour adultes avec des fins satisfaisantes. Il prend notamment l’exemple de Orgueil et Préjugé de Jane Austen qui se termine avec le mariage de la jeune Elizabeth avec le beau et riche M. Darcy.


Alors bien sûr que les livres YA ne vont pas dans les profondeurs de l’âme et ne questionnent pas l’esthétisme de la langue comme les classiques qu’on nous fait ingurgiter à un âge où la seule préoccupation est de se trouver une place dans un monde qui évolue de plus en plus vite. Mais putain qu’est-ce que j’ai pu m’éclater en lisant Phobos de Victor Dixen ! Qu’est-ce que j’ai pleuré en lisant l’histoire d’Aristote et Dante, écrite par le talentueux Benjamin Alire Saenz ! Qu’est-ce que j’ai sué quand j’ai lu les aventures de Thomas dans le Labyrinthe, inventé par James Dashner ! Je n’ai jamais autant rêvé qu’en entrant dans l’univers d’Harry Potter, imaginé par J.K. Rowling. Je n’avais pas autant apprécié lire avant de découvrir les Hunger Games de Suzanne Collins. Et surtout, je n’avais jamais autant voulu partager mes lectures qu’après avoir lu Divergente de Veronica Roth.


Lire ne doit pas être un privilège réservé à une certaine élite. Personne ne devrait se sentir honteux de lire quoi que ce soit. Bien sûr qu’il y a des livres que je trouve ridicules, lents, mal écrits, scandaleux. Et lorsque je rédige des critiques, je donne mon avis, avec des arguments et une bonne dose de bienveillance. Mais qu’est-ce que ça peut bien changer à ma vie que d’autres gens les lisent ? Qui suis-je pour dire aux autres ce qu’ils doivent lire ?

J’estime que chacun à le droit de lire ce qu’il veut comme il a le droit de ne pas lire du tout.

Donner son avis, bien sûr, mais dénigrer les autres, hors de question !

 

5 réflexions sur “Pourquoi se justifier d’être ce que l’on aime ?

  1. Les lectures d'Amélie 4 juin 2016 / 17 h 54 min

    Bonjour Anabelle 🙂

    Je suis tout à fait d’accord avec ce que tu as pu écrire sur cet article. Aucune forme de culture ne devrait être réservée à une élite. C’est dommage qu’il faille le rappeler mais c’est, je crois, nécessaire.
    Merci pour ce billet si joliment écrit, ça fait du bien de lire ce genre de choses.
    Belle soirée !
    Amélie.

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    • Anabelle 5 juin 2016 / 10 h 45 min

      Salut Amélie !

      Je suis contente que mon article ait pu te toucher 🙂 C’est dommage en effet de devoir encore le rappeler. Mais j’espère que ces quelques mots encouragerons un jour quelqu’un qui, comme moi, a pu se sentir mal à l’aise à cause d’un choix de lecture.

      Encore merci pour ta réaction, ça me fait plaisir !
      Bonne journée 🙂

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  2. fjva 4 juin 2016 / 20 h 38 min

    C’est amusant, j’avais en tête hier d’écrire un article sur le même thème de « Chacun ses goûts, personne ne devrait imposer les siens à autrui ».
    Je suis tout à fait d’accord avec toi. D’abord il y a des moments où ce qu’on veut, ce dont on a besoin même pour ne pas complètement déprimer ou craque, c’est une lecture « légère » et où la fin sera satisfaisante… Pas un énième drame cynique qui va confirmer toute la laideur du monde réel qui nous agresse en permanence aux informations.
    Quant aux gens qui se permettent de juger ce que les autres lisent, écoutent ou mangent, ce sont les premiers à râler quand ils se prennent des remarques. Alors si mes choix ne sont pas assez bien pour eux, qu’ils arrêtent de me fréquenter, je ne suis pas sûre d’y perdre tant que ça…

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    • Anabelle 5 juin 2016 / 10 h 49 min

      Oui, c’est vrai ! J’ai aussi remarqué que les premiers à critiquer aussi méchamment étaient souvent ceux qui refusaient les remarques ! C’est fou !
      Parfois, certaines personnes pensent qu’on est trop dans nos rêveries, qu’on ne se rend pas compte de ce qu’il se passe dans le monde, mais ils ne comprennent pas que c’est justement à cause des horreurs du monde qu’on a besoin de se tourner vers des lectures plaisantes et apaisantes, de s’échapper ailleurs le temps d’une lecture.

      En tout cas, je suis contente de voir que tu es d’accord avec moi, on se sent moins seul ! haha ! 🙂

      Bonne journée à toi,
      Bonnes lectures 😉

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  3. Madame_Love 6 juin 2016 / 12 h 23 min

    J’ai beaucoup aimé ton article.

    Et je suis tout à fait d’accord, on a bien droit de lire ce qu’on veut quand on veut. Personne ne devrais porter de jugement sur quelqu’un par rapport à une lecture. Lire c’est un peu comme vivre, des fois c’est sérieux, des fois c’est triste, des fois amusant, des fois plus léger, etc.

    Ça fait du bien ce genre d’article^^
    C’est intéressant aussi que tu parte d’un autre article pour débattre.

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